
Titre original : 膜 [Mo]Date de parution originale : 1996
Traducteurice : Gwennaël GAFFRIC
Livre
Novela
Science-fiction
Dystopie
Représentation
Mère de l’héroïne lesbienne
Société où l’homosexualité est, a priori, une norme
Vécu de l’héroïne a rapprocher de celui des personnes intersexes
Héroïne qui ne veut pas être en couple (vécu plus traumatique qu’autre chose)
TW
Violences médicales (y compris chirurgie de réassignation sexuelle non consentie, opérée sur une enfant)
Pédophilie
Traumatismes liés à l’abandon et à la solitude
Auteurice
Chi Ta-Wei enseigne la littérature à l’Université nationnale de Cheng Kung (Taiwan). Membrane, son premier ouvrage a être traduit en français, récit d’inspiration cyberpunk et premier roman « SF Queer » du monde chinois, a ouvert une nouvelle voie à la science fiction en langue chinoise. C’est enfin une figure importante des mouvements de défense de la cause homosexuelle sur l’île de Taiwan.
Editions
Asiathèque
2015 (réédition en 2020)
216p
Poche
Le livre de poche 2017
+
Recommandation de Eva
Avis de Eva
C’est une lecture qui n’est clairement pas facile. J’ai passé tout le début du texte à trouver l’héroïne de plus en plus creepy, et puis le chapitre 8 (situé au trois quart du roman) commence ainsi :
Voilà. Une fois exposés les préliminaires complexes de cette histoire, les choses intéressantes peuvent enfin commencer
[p.154 du format poche]
Et ce n’est pas une plaisanterie : à partir de là, j’étais par terre.
Momo n’est pas à proprement parler intersexe, au sens où elle ne présente pas, du moins on ne nous le dit pas, de variation intersexe.
Seulement voilà ce qui s’est passé (je mets la citation, qui est à la toute fin du livre, car elle parle d’elle-même, je trouve) :
Autrefois mon amie [et moi] avions très envie d’élever une petite fille, en hommage à notre amitié. Alors nous sommes allées faire la démarche nécessaire pour effectuer une fécondation in vitro.
[…]… Simplement nous n’avions pas imaginé ce que l’hôpital allait nous dire : notre Momo était un petit garçon, il avait un zizi. [Mais en plus] de cela il avait été contaminé par un terrible virus […]. Le médecin nous a dit que tu devais subir une transplantation d’organes de grande ampleur, et que nous pourrions peut-être en profiter pour changer ton sexe au cours de l’opération. […] A l’époque, je n’ai fait qu’acquiesser sagement de la tête, uniquement parce que je voulais que tu vives. Avais-je un autre choix ?
… Quand je t’ai envoyé à l’hopital à ce moment-là, ai-je pris une mauvaise décision ?
[p.199]
Premier point, l’aromantisme de l’héroïne est justifié d’une manière qui a première vue m’a juste rendue extrêmement triste :
[Momo était persuadée qu’il existait quelque part dans le corps humain une glande ou un organe encore inconnu de la science capable de libéréer une hormone particulière.
Cette hormone provoquait le désir d’un contact intime avec quelqu’un. […] En ce qui concerne Momo […]durant une intervention au cours de laquelle elle avait perdu conscience, on lui avait enlevé la glande sécrétant cette hormone… Certainement avant son adolescence.
[…]Son organe le plus important lui avait été ravi dès son tout jeune âge.
[p.70 de l’édition poche]
Deuxième point, Momo a des comportements sexuels très étranges, surtout pour son âge. Ici par exemple, lors de son séjour à l’hôpital entre ces 7 et 10 ans :
Momo espérait même pouvoir pénétré à l’intérieur du corps d’Andy et qu’Andy puisse pénétrer à l’intérieur d’elle. A l’époque, Momo ne savait pas ce qu’était une « relation sexuelle »; dans ses fantasmes, elle s’imaginait plutôt « manger » Andy. […]Momo dit donc un jour à Andy qu’elle voulait manger un morceau de son corps. Andy ne s’y opposait pas et présenta ses dix doigts à Momo. Cette dernière ne se fit pas prier et […] mordit violemment, mais elle eut soudain peur qu’Andy eut mal – pourtant le visage d’Andy était parfaitement serein. Momo parvint non sans mal à arracher le doigt avec ses dents, mais aucun sang ne coula. […] Elle voulait qu’Andy puisse la manger, mais elle ne supportait pas l’idée de perdre un de ses doigt alors elle souleva sa petite jupe, et demanda à Andy de mordre son zizi.
[p.80 de l’édition poche]
Troisième point, on voit à plusieurs reprises que l’héroïne n’a aucun respect pour le consentement des autres, y compris lorsqu’elle exerce son métier.
La M-skin [que Momo applique sur ses clients pour soigner leur peau] était en réalité l’un des accessoires du scanner. Sa fonction principale était finalement moins la protection dermatologique que quelque chose de bien plus mystérieux.
Etalée comme une pommade sur la surface du corps, la M-skin offrait la possibilité, une fois la peau intégralement recouverte, de ressentir les moindres stimuli dermiques à chaque instant.
[p.97]Bien entendu, elle ne parlait pas à ses clients de la fonction mémorielle de la M-skin. […]Comment les beaux et célèbres jeunes gens qui venaient au « Canari » auraient-ils pu imaginer que Momo se servait de produits cosmétiques pour épier les secrets enfouis au plus profond d’eux même ? En ce basant sur les M-skin, Momo pouvait savoir qui avait été constipé et quand, qui avait fait l’amour et avec un une personne de quel sexe, qui, pendant l’étreinte amoureuse, avait fait usage de fouets et cuir en s’aspergeant de bière Kirin, qui jouait au Don Juan ou à la Méduse, ou qui se masturbait et à quel rythme…
[p.99]
En fait, j’adore ce livre parce qu’on s’aperçoit que les comportements de l’héroïne ne sortent pas de nulle part.
En fait, quand elle était petite, elle devait subir des transplantations pour la sauver d’une maladie virale qui avait contaminé tout son corps… sauf qu’au moment de l’opération l’équipe médicale s’est aperçue que seul le cerveau était encore sain. La seule solution pour sauver Momo était alors d’accepter la proposition d’une grande firme (fabricante d’arme de guerre appelées MM) de transplanter le cerveau de Momo dans un androïde dernière génération… en échange de quoi Momo travaillerait pour la-dite firme pendant 20 ans.
Cela peut paraitre cliché, se retournement de type « en fait, ce n’était qu’un rêve », mais en l’occurrence, on ne peut qu’admirer la maitrise de Chi Ta-Wei.
Bien sûr, Momo manque d’empathie, mais ce n’est pas parce qu’elle a un problème, c’est parce qu’autour d’elle il n’y a personne avec qui entrer emphatie. Ce qu’elle prend pour ses clients (à qui elle appliquerait des soins d’esthéticienne) sont en fait des robots MM.
La vie qu’elle a l’impression de vivre, c’est sa mère qui l’a écrite pour elle, dans des discolivres qui se présentent en successions de lignes de dialogues et de blancs que le cerveau de Momo doit remplir. Un système qui donne l’illusion de la vie mais ne permet aucun interactivité. Il y a toujours un décalage entre les questions que Momo pose et les réponses qu’on lui apporte.
Ce, sans compter les idées que la firme militaire lui met dans la tête. Par exemple pour la M-skin :
les secrets récoltés n’étaient pas charnels mais militaires. Si Momo pouvait en retirer du plaisir, c’était parce qu’ISM lui avait donné cette faculté comme un os à ronger
[p.193]
Au final, si Momo ne peut pas traiter les gens autours d’elle comme des personnes, c’est parce que littéralement : il n’y a PERSONNE autour d’elle. Rien que des illusions. Et ce depuis son entrée à l’hôpital à l’âge de 7 ans (car de 7 à 10 ans, même avant la transplantation, elle avait Andy pour seul contact. Andy qui est un androïde. Et quand elle lui arrache le doigt, ce n’est pas par méchanceté ou manque de considération. En vérité, elle a d’abord peur de faire mal. Elle constate simplement que ce n’est pas le cas : Andy n’a pas mal, de fait, puisqu’Andy n’est pas humaine).
Or tout cela, cela porte un regard vraiment très juste sur ce que sont les relations humaines : d’abord construite.
Par ailleurs, le fait que tout ce passe dans la tête de Momo permet à l’auteur de glisser quelques idées : Par exemple, dans la tête de Momo, qui a été élevé, du moins jusqu’à ses 7 ans, par une femme lesbienne, l’homosexualité est normale (non seulement elle va de soit mais elle est vraiment la norme)
la fille l’interrogeait : « Momo, tu n’es pas une fille ? Tu n’aimes pas les filles ? Est-ce que tu préfères les garçons ? »
[p.65]
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