Entretien avec Hermine Lefebvre

Photo Hermine Lefebvre

Un mois après la sortie de son deuxième roman chez Scrinéo, Sous le Sceau de l’Hiver, l’autrice Hermine Lefebvre a accepté de répondre à quelques questions.

J’imagine que cela a dû me parler à l’époque, je ne devais déjà pas aimer les héros normés tels qu’on les trouve partout.
Hermine Lefebvre

Entretien

Sous le sceau de l'hiver
Sous le sceau de l’hiver

Q – Bonjour Hermine. Merci d’avoir bien voulu répondre à quelques questions pour FantastiQueer. Peux-tu te présenter en quelques mots ?

R – Bonjour, et merci de m’avoir proposé cet entretien ! Je suis une autrice de fantasy et de fantasy urbaine : que ce soit dans notre monde ou dans un autre, mes romans comportent toujours une trace de magie. Ils sont surtout destinés à un public young adult, même s’ils sont souvent à la frontière avec l’adulte. Mon premier roman, La Chasse fantôme, est paru l’an dernier.

Q – Sous le Sceau de l’hiver est paru aux éditions Scrinéo il y a un mois aujourd’hui. Que raconte ce roman ? Quel en est le pitch ?

R – C’est un roman de fantasy urbaine qui se déroule dans notre monde contemporain, à Paris plus précisément… Sauf qu’il y a une trentaine d’années, les humains ont découvert l’existence de la magie ainsi que des deux Cours faëriques, l’Été et l’Hiver. Cela a débouché sur des années de guerre qui ont ravagé notre monde. Après la signature d’un traité de paix, les humains et les faës ont dû apprendre à cohabiter. Mais la paix demeure fragile et se trouve soudain menacée par la disparition de chevaliers faës.

Lorsque Virgile, adolescent doué de magie et toxicomane, tente de se suicider, la reine de l’Hiver le sauve contre son gré et lui propose un pacte : s’il veut mourir, il n’a d’autre choix que d’enquêter pour elle et de retrouver les faës disparus. C’est alors qu’il croise Camille, proche des faës, qui lui offre son aide. Les deux jeunes gens devront tout mettre en œuvre pour préserver la paix entre les deux mondes et sauver Virgile.

À mesure que l’enquête avance, on suit aussi l’évolution de la relation entre Virgile et Camille, la façon dont aels apprennent à se connaître, mais aussi leur manière de faire face à leurs propres problèmes.

Visuel du 8 novembre - Journée Internationale de Solidarité Intersexe
Visuel du 8 novembre – Journée Internationale de Solidarité Intersexe

Q – Le roman appartient à une collection Jeune Adulte. Il aborde des thèmes extrêmement difficiles de manière frontale, notamment le suicide, les violences intra-familiales et l’addiction à la drogue. As-tu eu des difficultés à écrire sur ces thèmes, et est-ce que tu as eu des moments de doute par rapport au lectorat auquel le roman est de prime abord destiné ?

R – Effectivement, ce n’étaient pas des thèmes simples à aborder, même si à l’époque du premier jet (qui remonte à 2015), ce n’est pas une question que je me suis vraiment posée : j’écrivais ce texte pour moi, la question du lectorat n’était pas vraiment d’actualité. C’est en le retravaillant et en affinant les thèmes que je me suis davantage interrogée. La violence est très présente au sein du roman, qu’elle soit physique ou psychologique.

Je savais qu’il restait un roman young adult par certaines thématiques comme l’acceptation de soi, par ses personnages aussi, Virgile et Camille étant dans la bonne tranche d’âge. Mais je craignais que le traitement ne le rende un peu inclassable, à cheval entre le young adult et l’adulte. C’est peut-être une sorte de roman passerelle, qui peut être lu à partir de quinze ans jusqu’à n’importe quel âge. Le prisme de la fantasy permet de prendre un peu de distance, je pense. Et il me paraissait aussi important d’aborder ces sujets avec le lectorat. C’est un âge où ces problématiques sont présentes.

Q – C’est la seconde fois que ton personnage principal est handicapé. Dans La Chasse Fantôme, ton premier roman, Natalis est paraplégique, et dans Sous le Sceau de l’Hiver Camille subit les conséquences d’une maladie orpheline qui affaiblit considérablement ses jambes. Est-ce une thématique qui résonne en toi ? Et comment as-tu travaillé sur cette représentation spécifique et encore très absente des littératures SFFF ?

R – D’une façon ou d’une autre, c’est une thématique qui résonne chez moi : même dans mes premiers textes, à douze ou treize ans, j’avais des personnages handicapés. En remontant aussi loin, difficile de retrouver la raison première. Je me souviens d’un film pour enfants, vu quand j’avais huit ou neuf ans, où le héros devenait handicapé après un accident, et c’était sans doute la première fois que je voyais un personnage différent à l’écran. Le film n’était pas centré sur son handicap, mais on voyait aussi les réactions des autres personnages, le fait que ce n’était pas évident de trouver sa place. J’imagine que cela a dû me parler à l’époque, je ne devais déjà pas aimer les héros normés tels qu’on les trouve partout.

Pour cette représentation, comme pour les autres, c’est surtout beaucoup de recherches ! Sur la façon dont se présente le handicap, la vie au quotidien… Par exemple, j’ai lu des témoignages, notamment pour Camille, sur les séquelles de sa maladie, cherché des vidéos pour Natalis sur le maniement du fauteuil. Tout cela m’imprègne petit à petit. Et une étape importante, essentielle pour moi, c’est le rendu à travers le personnage. Il ne s’agit surtout pas de faire un catalogue ou de créer un personnage modèle. Chaque personnage possède son caractère, son vécu, son regard particulier, ce qui façonne sa vision de son handicap et la façon dont il le vit, comme pour toute personne réelle. C’est une de ses facettes, mais ça ne le définit pas.

Photo et article de presse : Mes Souvernis Herculine Abel Barbin
Mes Souvenirs Herculine Abel Barbin

Q – Tu abordes également le thème de l’intersexuation, sans en faire un moteur de l’histoire principale. L’incipit, qui regroupe d’ailleurs également les trigger warnings du livre, revient dessus de manière très claire et pédagogique. Quel a été ton moteur pour aborder ce sujet encore très mal connu, y compris dans la communauté LGBTQI+ ?

R – Alors, je ne parlerais pas vraiment de moteur. En fait, je suis ce qu’on appelle une autrice « jardinière », c’est-à-dire que j’ai une écriture assez intuitive, notamment au niveau des premières idées, je ne construis pas consciemment les choses – ce n’est pas une histoire d’inspiration miraculeuse, c’est surtout que toute cette partie se fait en arrière-plan. Je ne décide donc pas vraiment que mes personnages auront telle et telle caractéristique, j’ai plutôt l’impression qu’ils viennent à moi tels qu’ils sont, pour paraphraser un slogan bien connu, et je pars de là. Je fonctionne beaucoup à l’émotion, j’ai besoin de comprendre mes personnages, leurs ressentis pour les écrire.

À l’époque, je ne suis plus très sûre, j’avais dû entendre parler de la réédition du livre de Michel Foucault sur Herculine Barbin, une personne intersexe du XIXe siècle. Je n’ai pas lu le texte, mais j’ai dû me renseigner sur Herculine Barbin que je ne connaissais pas. Et quelques mois plus tard, le personnage de Camille a émergé de ma marmite interne.

Q – Camille est un personnage non-binaire. En tant que personne concerné·e j’ai trouvé son épaisseur et sa construction vraiment intéressantes, et notamment le fait que son androgynie n’est pas forcément un avantage, qu’iel [le livre utilise un autre pronom NDLR] est quand même obligé·e de se « déguiser » constamment. Pourquoi avoir fait ce choix de la non-binarité ?

R – Merci beaucoup ! Je suis désolée, ma réponse va être assez semblable à la précédente : Camille a débarqué ainsi. Ael était intersexe et non-binaire, c’était ainsi et pas autrement. Ça fait partie de l’essence du personnage, de son identité.

En effet, son androgynie n’est pas un avantage, cela lui attire plus d’ennuis qu’autre chose, puisque finalement les gens se posent toujours la fameuse question sur son genre. Ce qui amène son questionnement : comment se faire accepter et à quel prix ? Celui de son identité ? Pourquoi tant de rejet face à la différence ? C’est une vraie souffrance pour Camille qui ne sait plus comment y faire face.

Bannière aux couleur du drapeau non-binaire : Mon Genre est Non-Binaire
Bannière aux couleur du drapeau non-binaire : Mon Genre est Non-Binaire

Q – Donc Camille est une personne intersexe, non-binaire et en situation de handicap. Il s’agit d’une combinaison multiple que l’on retrouve souvent dans nos vies réelles, car très rares sont les personnes qui ne sont que dans une seule case. Pourtant, ainsi résumé, on pourrait penser que tu « charges la barque » comme on dit. As-tu eu des réticences, ou des hésitations, par rapport à cela ?

R – Pas pour l’écriture ou les corrections, c’était ainsi que le roman devait être pour moi. La question a été évoquée au niveau éditorial : comme tu le soulignais, ce sont des identités qui sont encore peu et mal connues du grand public, et cela pouvait faire beaucoup à appréhender, notamment avec le risque d’amalgame entre la non-binarité et l’intersexuation. Mais ce sont des combinaisons qui existent, qui ont toute leur place ; la maladie qui survient est une réalité pour de nombreuses personnes. Enlever l’un ou l’autre à Camille aurait changé le personnage, ç’aurait été quelqu’un de différent, avec un autre vécu. Ce n’était pas une option. Du coup, on a mis l’accent sur la pédagogie.

Q – Ton traitement du personnage de Virgile m’a paru également intéressant. La façon dont les personnages de Camille et Arnaud traitent son addiction, et ne lui font jamais la leçon par rapport à sa consommation de drogue, me paraît saine, faute d’autres mots. Et tu nous montres également un personnage sous emprise qui continue d’agir, notamment pour Camille, alors que la fiction a pu nous habituer à des personnages drogués inactifs, ou menés uniquement par leur addiction. Etait-ce un choix conscient ?

R – Oui, c’était important qu’il n’y ait pas de culpabilisation à ce sujet. Virgile traverse des moments déjà bien assez compliqués.
Pour lui, ça a surtout été une question d’équilibre à trouver, entre l’emprise de la drogue et les actions que demande l’enquête. Il est plutôt passif au début, mais il évolue à mesure que se développe sa relation avec Camille et qu’il arrive à envisager d’autres choses. Ça me paraissait important qu’il soit acteur. Ce qui aide aussi, si je puis dire, c’est qu’il a des facilités d’accès pour sa consommation, ce qui lui enlève une grosse préoccupation des épaules, puisqu’il est à peu près sûr d’éviter le manque.

La querelle d’Oberon et de Titania, Sir Joseph Patton – 1849
La querelle d’Oberon et de Titania, Sir Joseph Patton – 1849

Q – Parlons un peu du background magique et politique de Sous le Sceau de l’Hiver. Quelles ont été tes influences pour les Faës ?

R – Je me suis surtout inspirée des légendes anglo-saxonnes autour de ce qu’on appelle le petit peuple. Il y a quelques années, pour un autre texte, j’avais fait pas mal de recherches sur les différentes créatures qu’on peut croiser et j’étais tombée sur cette notion des Cours féeriques, l’Été et l’Hiver, qu’on retrouve dans le roman. C’était un cadre qui me plaisait, avec ces fées beaucoup plus dures que ce qu’on peut parfois trouver, assez retorses avec leurs pactes qui se retournent contre les personnes qui les passent. Je suis partie de là pour Medb et Titania, qui sont les noms traditionnels des souveraines des Cours.

Pour certains peuples, je me suis amusée à reprendre certaines particularités, comme l’attrait des pixies pour le lait, j’en ai ajouté d’autres, j’ai aussi tordu certaines notions, notamment pour les changelins, pour qui je donne un autre sens au mot. Chez moi, il ne s’agit pas d’enfants enlevés par les faës, mais simplement de ceux qui naissent avec un pouvoir magique, suite au télescopage des deux mondes.

Q – J’ai rapproché très rapidement le groupe anti-faë du roman de certains groupes de pression catholiques français, très proches de l’extrême-droite, et particulièrement présents dans les médias dès que l’on parle d’immigration ou de droits des personnes LGBTQI+. Est-ce une référence consciente ou est-ce que de toute façon ce genre de groupe ressemble toujours à la même chose ? Que le lectorat peut y voir ce qu’iel veut ?

R – Ce n’était pas une référence, à l’époque du premier jet, il me semble qu’on en parlait moins – même si le contexte du roman s’est précisé et affiné au fil des réécritures. Pour moi, la haine de l’autre et/ou la peur de la différence n’ont pas besoin d’un contexte précis ou d’une religion pour se manifester et s’exprimer, ce genre de mouvement ressemble toujours plus ou moins à la même chose. Du coup, ce n’est pas une référence précise à l’actualité, plutôt un exemple d’où peut mener le rejet de l’autre. Je voulais que ce soit assez général pour que le lectorat puisse ensuite l’interpréter ou le rapprocher de choses réelles.

Q – L’histoire de Camille et Virgile demanderait presque une suite. Peux-tu nous parler de tes futurs projets ?

R – Ça me fait plaisir pour aels, mais il n’y a pas de suite prévue, même si ce sont des personnages que j’ai beaucoup aimé écrire ! Je fonctionne beaucoup par volumes uniques, et Sous le sceau ne fait pas exception.

Du côté des nouveaux projets, j’en ai un autre dans les tuyaux éditoriaux qui devrait paraître dans les premiers mois de 2022. Le roman s’appelle Cathédrale. Cette fois, on quitte notre monde pour de la fantasy plus classique et sans faës, dans un univers qui reprend de nombreux codes de notre XIXe siècle.

En parallèle, j’ai d’autres projets déjà écrits qui attendent que je retrouve le temps de plonger dedans pour les corriger ! Le premier est un projet de fantasy assez noire qui devrait occuper cette fin d’année en parallèle des corrections éditoriales. Le second relève de la fantasy steampunk avec une touche de piraterie et je devrais m’y consacrer l’année prochaine. Si ma Muse ne trouve pas d’autres idées entre-temps !

Couverture de La Chasse Fantôme
La Chasse Fantôme

Q – Peux-tu également nous dire quelques mots sur ton autre roman, La Chasse Fantôme ?

R – Oui, bien sûr ! On suit Natalis, jeune magicien qui travaille pour l’ordre des Veilleurs, chargé de protéger la Terre des êtres magiques. Malheureusement, lors d’une mission qui tourne au désastre, la Chasse fantôme, constituée de spectres cavaliers, est libérée et commence à traquer les âmes à travers le monde. Le seul moyen de l’arrêter ? Trouver son meneur, le Coryphée, perdu sur Terre, et le tuer.

Natalis jure de tout mettre en œuvre pour y arriver. Aidé par son frère aîné, Félix, il croise également la route de Ielisseï, discret et rêveur, qui subit du harcèlement. Tandis que les attaques de la Chasse sauvage se multiplient, les trois jeunes gens vont confronter leurs idées et leur vision du monde. Tous n’ont peut-être pas les mêmes intentions.

À l’enquête fantastique se mêlent d’autres thèmes comme le harcèlement, la culpabilité, l’attachement à ses convictions aussi, quand on essaie de s’y accrocher à tout prix, et les dérives que cela peut entraîner.

Q – Merci beaucoup Hermine d’avoir pu répondre à nos questions. Un dernier mot pour le lectorat queer et pour FantastiQueer ?

R – Merci à toi ! FantastiQueer est une très belle initiative et nécessaire dans le monde de l’imaginaire. Je vous souhaite une belle et longue route, et que vous portiez de nombreux fruits dans nos littératures. Au lectorat queer, je sais ce que c’est cette impression de ne pas être comme les autres, de ne pas coller et de se chercher sans savoir si on aura un jour la réponse. J’espère que vous aurez toutes les représentations que vous souhaitez et que vous méritez !

En plus de l’entretien nous souhaitions ajouter plusieurs ressources sur les différentes thématiques abordées :

Wikitrans : ressources pour les personnes trans en questionnement ou en transition, leurs proches et leurs alliés.
Collectif Non-Binaire.
Collectif Intersexes et Allié·e·s-OII France : association française par et pour les personnes intersexes.
Les Dévalideuses : Collectif féministe qui démonte les idées reçues sur le handicap.
PsychoActif : Communauté en auto-support dédiée à l’information, l’entraide, l’échange d’expériences et la construction de savoirs sur les drogues

Ces quatre sites ont été montés et sont maintenus par des personnes concernées.

Ressources et aides officielles :
Drogue Info Services.

Autres :
Abel Barbin, première icône intersexe : émission de France Culture.

Bibliographie

Sous le sceau de l'hiver
Sous le Sceau de l’Hiver

Genre : Fantasy urbaine

Représentation : Personnage non-binaire et intersexe ; personnage en situation de handicap

Mais aussi… (livres non référencés sur fantastiqueer)

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